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Que signifie « penser historiquement » chez des élèves du primaire?

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Une question importante pour l’enseignement de l’histoire au primaire mobilise les énergies d’un nombre croissant de didacticiens depuis plusieurs années. Il s’agit de la nature de la pensée historique et de la possibilité d’enseigner aux enfants les modes de collecte et de traitement de l’information qui lui sont propres : poser des problèmes sociaux actuels, en chercher les causes et en débattre rationnellement, aller à la source pour établir les faits, les/se situer dans le temps (Wineburg, 2001).

Cependant, les recherches expérimentales et les synthèses théoriques sur la mobilisation des compétences historiques se font relativement rares. Ce texte cherche à présenter les savoirs que les élèves, d’après la recherche, seraient capables d’utiliser, une fois terminée leur formation en histoire au primaire.

 Qu’est-ce que la pensée historique? 

Si les didacticiens ne s’entendent pas sur une définition de la pensée historique, nous pouvons cependant ranger grosso modo leurs travaux selon trois courants. Certains définissent la pensée historique comme l’ensemble des procédures méthodologiques relevant spécifiquement de l’histoire (Barton et Levstik, 1996). D’autres parlent plutôt d’une « culture historique », c’est-à-dire d’une combinaison d’attitudes et de procédures (Seixas, 1996; Rüsen, 2004). D’autres encore ajoutent à cela la dimension argumentative, sans laquelle le raisonnement historique critique ne peut être construit (Pontecorvo et Girardet, 1993). Tous ces auteurs distinguent cependant le passé de l’histoire du passé. Les historiens, en effet, écrivent l’histoire et en sont conscients. Ils se font auteurs d’une narration dans laquelle ils infèrent le probable ou le possible à partir des résultats de leur analyse des traces du passé et de ce que cela révèle des intentions, des motifs, des contextes sociaux et culturels de ceux qui ont laissé ces traces. Les historiens savent toutefois que ces preuves mentent parfois ou ne disent pas tout et qu’ils devront combler des « vides » dans la narration, en employant leur raisonnement et leur propre créativité pour répondre à des questions et construire le sens de phénomènes humains.  

L’effet des méthodes d’enseignement

Le travail de Cooper (1995) démontre que les enfants de premier cycle (primaire) peuvent commencer à développer leur pensée historique si les problèmes à résoudre leur sont présentés à partir d’éléments familiers (comme les narrations dans les contes). Le besoin de proximité entre l’objet d’étude et l’expérience de l’enfant fait écho à la conception du curriculum en spirale selon laquelle le développement de la pensée requiert de revoir les concepts centraux de la discipline au fil des années, sous des angles différents et selon des approches variées, correspondant aux capacités des élèves. La recherche d’Audigier (2002) et de ses collègues, comme celle de Cooper et de Capita (2004) auprès d’élèves de 9 à 11 ans, démontre par ailleurs que les élèves peuvent comprendre les concepts abstraits, s’ils sont présentés explicitement et étudiés à partir d’exemples concrets ou d’images illustratives.  

Cooper et Capita (2004) ont observé comment des élèves de 10-11 ans s’approprient les outils de l’enquête historique dans le cadre d’activités axées sur l’étude de sources et les activités de manipulation directe. À l’instar d’autres chercheurs, elles ont noté que les élèves retenaient une plus grande quantité de savoirs, qu’ils étaient capables de s’approprier certains des outils de l’enquête historique et de comprendre que l’histoire est construite à partir de preuves, tout en distinguant les sources premières des sources secondes.   

Les événements, les ruptures ou les continuités

Les élèves au primaire peuvent établir la signification de phénomènes historiques, parce qu’ils arrivent à l’école avec certaines informations historiques auxquelles ils ont été exposés (Barton et Levstik, 1996). Toutefois, aucune recherche recensée ne permet d’affirmer que les élèves au primaire peuvent identifier les ruptures et les continuités, bien qu’ils puissent, dès 9 ans, analyser des réalités sociales du point de vue de la synchronie (Lee, 1998).

Les résultats des recherches de Barton (2001), comme celle de Cooper et de Capita, démontrent que les élèves de deuxième cycle (primaire) peuvent identifier le changement et analyser les causes et les conséquences de façon plus ou moins complexe en lien avec une certaine médiation culturelle.

Le passé, les procédures et les sources

Les élèves peuvent appliquer les actions procédurales et cognitives propres à l’utilisation de sources premières pour résoudre des problèmes de nature historique et construire leur propre narration. Toutefois, les plus jeunes se servent peu des preuves issues de ces sources et saisissent rarement leur nature construite et interprétative (VanSledright, 2002). La recherche d’Audigier (1995), comme celle de Lee (1998), révèle que les élèves au primaire peinent également à saisir la nature interprétative de l’histoire et à questionner les sources.

Le temps

Diverses recherches témoignent de la difficulté des élèves à distinguer les indices temporels dans des images, leur perspective temporelle étant dichotomique (aujourd’hui/jadis), sauf lorsqu’ils la présentent selon une narration chronologique. Ces élèves inclinent aussi à se représenter l’action humaine de façon linéaire et progressive (le présent moderne étant meilleur que le passé) (Audigier, 1995). Toutefois, d’autres études démontrent que les élèves de 9 à 11 ans comprennent les temps moyen et long et sont capables de perspective temporelle (VanSledright, 2002).

Conclusion

Les recherches relatives aux idées des élèves du primaire concernant le passé et la façon de l’expliquer montrent que ceux-ci développent progressivement leur capacité de penser historiquement. Ces résultats soulignent le besoin de recherches futures contribuant à comprendre comment se manifestent les compétences historiques des élèves et quelles étapes de développement de la pensée historique sont atteintes. Enfin, la reconstruction de ces étapes appelle à l’exploration des curriculums et des attentes qui y sont manifestes concernant les élèves et les pratiques pédagogiques.

Stéphanie Demers
Doctorante
Université du Québec en Outaouais
demers.steph@gmail.com

David Lefrançois
Professeur
Université du Québec en Outaouais
david.lefrancois@uqo.ca

Marc-André Éthier
Professeur
Université de Montréal
marc.andre.ethier@umontreal.ca

Références :

- Audigier, F. (1995). Histoire et géographie : des savoirs scolaires en question entre les définitions officielles et les constructions des élèves. SPIRALE – Revue de Recherches en Éducation, 15, p. 83.

- Audigier, F., Auckenthaler, Y., Fink, N., Haeberli, P. (2002). Leçons d’histoire à l’école primaire. Cartable de Clio, 2, p. 194-217.

- Barton, K.C. et Levstik, L. (1996). Back when God was around and everything Elementary children’s understanding of historical time. American Educational Research Journal, 33 (2), p. 419-454.

- Barton, K.C. (2001). You’d be wanting to know about the past. Social context of children’s historical understanding in Northern Ireland and the United States. Comparative Education, 37, p. 89-106.

- Cooper, H. (1995). History in the early years. Londres : Routledge.

- Cooper, H. et Capita, L. (2004). Leçons d’histoire à l’école primaire : comparaisons. Le Cartable de Clio, (3), p. 155-168.

- Lee, P. (1998). Making sense of historical accounts. Canadian Social Studies, 32 (2), p. 52-54.

- Pontecorvo, C. et Girardet, H. (1993). Arguing and Reasoning in understanding historical topics. Cognition and Instruction, 11 (3 & 4), p. 365-395.

- Rüsen, J. (2004). Historical consciousness : narrative structure, moral function, and ontogenetic development. Dans P. Seixas (Dir.) Theorizing historical consciousness, (pp.63-85). Toronto : University of Toronto Press.

- Seixas, P. (1996). Conceptualizing the growth of historical understanding, in Olson, D.R. et N. Torrance (Dir.), The Handbook of Education and Human Development. Cambridge, MA : Blackwell Publishers Ltd., p. 765-783.

- VanSledright, B. (2002). In Search of America’s Past : Learning to Read History in Elementary School. New York : Teachers College Press.

- Wineburg, S. (2001). Historical Thinking and Other Unnatural Acts. Philadelphia : Temple University Press.


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